2013-12-01

Discrimination positive à la française : les politiques de diversité dans l’entreprise en France

Mirna Safi

Ce projet est financé par la Chaire dans le cadre de l'Appel à projets lancé fin 2013.

En France, à partir des années 2000, la question de la discrimination à l’encontre des Français issus des minorités ethno-raciales a connu une visibilité plus grande dans le débat public et scientifique. La loi de 2001 renforce l’arsenal législatif anti-discrimination en France ; c’est à cette date que la Halde  fut créée avec comme rôle la lutte contre les discriminations (quelle que soient leurs victimes) dans la société française. A partir de 2005, l’enquête Emploi, une des enquêtes centrales de la statistique publique fournissant un matériau extrêmement riche pour étudier le marché du travail, comprend pour la première fois une question sur le pays de naissance et la nationalité à la naissance des parents et permet ainsi de comparer la situation des descendants d’immigrés à celle de leurs homologues sans ascendance migratoire. Elle révèle de fortes inégalités notamment dans l’accès à l’emploi qui touchent les enfants d’immigrés d’origine africaine. C’est dans ce contexte que le monde de l’entreprise fut lui-même sensibilisé à ces questions. En 2004, des dirigeants d’une trentaine de grandes entreprises françaises signent « la charte de la diversité » s’engageant ainsi à respecter les lois anti-discrimination et à promouvoir la diversité dans l’entreprise. En 2008 c’est le Label « Diversité » qui fut créé. Comme le montrent les travaux de Laure Bereni et de Milena Doytcheva , le mot diversité faisait d’abord référence à la question de la diversité ethnique mais son sens s’est ensuite élargi à la question des inégalités hommes/femmes dans l’entreprise et à la situation professionnelle des personnes en situations de handicap.

Ce souci de renforcer la diversité dans l’entreprise se heurte néanmoins à un obstacle pratique : l’impossibilité d’objectiver les efforts déployés dans ce domaine. La plupart des entreprises signataires de la charte de la diversité ou labélisées « diversité » mettent en effet en place des programmes plutôt orientés vers la promotion des femmes et/ou des personnes en situation de handicap. Ce choix s’explique notamment par le fait que, contrairement au genre et à l’handicap, critères possiblement objectivables dans les rapports responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) , l’origine des employés n’est pas autorisée à figurer dans ce type de rapport ou dans aucun autre fichier interne ou externe à l’entreprise. La loi française est en effet color blind ; elle interdit les statistiques dites ethniques. Par conséquent les variables sur l’origine des individus sont absentes non seulement des grandes enquêtes de la statistique publique et du recensement (certaines enquêtes collectant tout de même des informations dites objectives sur le pays de naissance des parents) mais aussi des fichiers administratifs des organisations publiques ou privées. L’action des entreprises dans le champ de la « diversité » ethnique est ainsi limitée à la manifestation de bonne foie ou la description de quelques « actions positives » à cet égard ; elle ne peut se traduire par des politiques proactives de recrutement.

L’objectif de cette recherche est de décrire et d’analyser ce paradoxe français des politiques de discrimination positive dans l’entreprise. Elle se fondera sur une expérimentation réalisée au sein de la cellule « emploi et diversité » du réseau d’entreprises IMS-entreprendre pour la cité ayant pour objectif de promouvoir dans les entreprises partenaires, le recrutement de candidats issus des minorités ethno-raciales pour des postes qualifiés (bac 2 à bac 5). L’expérimentation qui a duré de 2005 à 2011, était basée sur une procédure préalable de sourcing collectant plusieurs milliers de CV grâce à une large campagne de communication. Les entreprises partenaires s’engageaient alors à transmettre leurs offres d’emploi à cette cellule dont le rôle est alors de trouver au sein de ce sourcing des candidats potentiels et de les coacher en leur permettant au moins un premier entretien. Nous avons un contact direct avec la responsable de cette cellule, membre par ailleurs du conseil économique, social et environnemental, qui est d’accord pour collaborer dans le cadre d’une étude sur cette expérimentation.